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Les Maisons d’art : Lemarié • Loignon, Michel, Lesage

11 commentaires

Cette semaine, j’ai visité trois des onze Maisons d’Art que Chanel a regroupé au 19m à l’occasion des Journées Européennes des Métiers d’Art.

J’ai profité d’une soudaine libération de temps libre pour m’inscrire à ces visites après avoir lu l’article sur Thread & Neddles.

Et apparemment, j’ai eu un gros coup de chance d’avoir pu réserver mes places à la dernière minute. Les autres participantes (oui, que des femmes) avaient, quant à elles, réservé plusieurs semaines avant.

Mais attention, accrochez vos ceintures, cet article va être long, très long. Attrapez vite un biscuit et un thé avant de vous lancer.

Le 19m regroupe donc toutes les Maisons d’Art que Chanel a acheté afin de sauvegarder les savoir-faire ancestraux nécessaires à la Haute Couture.

Cela dit, ces maisons ne travaillent pas exclusivement pour Chanel, mais aussi les autres créateurs et maisons de Haute Couture.

La Maison d’art Lemarié • Les Ateliers Loignon

La première visite des Maisons d’art fût la Maison Lemarié, spécialisée en plumasserie, broderie et fleurs en tissu, qui inclut aussi Les Ateliers Loignon, spécialisés dans le plissé.

Le showroom

L’accueil de cette Maison d’art a clairement été le plus généreux des trois.

Nous avons commencé au showroom où de magnifiques, époustouflants échantillons de leur travail nous ont été présentés. Et où nous avons pu prendre des photos sans restriction.

Dans ce showroom, les clients peuvent se faire présenter divers échantillons pour y piocher de l’inspiration ou reprendre telles quelles certaines créations.

Au-dessus, nous avons différents travails de la plume. La grue et le motif de lignes graphique sont des marqueteries de plumes.

La grue fait à peine 5 cm. Quelle délicatesse.

Ici à l’inverse, c’est un travail de plume d’autruche en volume avec cette cape tout en plume et mousseline de soie.

Par mesure de protection des espèces d’oiseaux dont certains ont été amenés à l’extinction à cause des chapeaux des coquettes, les plumes sont aujourd’hui uniquement des plumes venant d’oiseaux élevés pour l’alimentation : coq, canard, faisan, autruche, oie, etc.

Des plissés d’organza et de cuir.

Des franges de pétales de soie, une autre manière d’interpréter les fleurs en tissu.

Un boa en autruche.

Encore un magnifique travail en volume avec des plumes teintes puis repeintes pour créer la frange noire.

D’une manière générale, les plumes sont très souvent teintées avant d’être utilisées.

La Maison Lemarié travaille aussi la broderie pour créer des pièces complètes et uniques. Ici strass & cuir sur le corsage et plumes d’autruche pour la jupe.

Ci-dessous, encore d’autres exemples de marqueterie de plumes.

Même en les ayant entre les mains, j’ai dû demander la confirmation de la technique utilisée. Bluffant !

Les fleurs en tissus

La Maison Lemarié a été fondée en 1880 par la modiste Palmyre Coyette (épouse Lemarié).

Les artisans de Lemarié travaillent à la main fleurs et plumes. Ils réalisent également du travail de couture : smocks, plissés, incrustations et volants.

Avant d’être transformé en fleurs, le tissu doit être apprêté pour rester dans la forme qui lui sera donnée.

D’après ce que j’ai vu, et sans étonnement, de la gomme arabique et du Permafix sont utilisés à cet effet. Les recettes sont bien sûr secrètes et dépendent du tissu qui est apprêté.

Des exemples de cuir et même de tweed nous ont été montrés qui passent de tout mous à tout rigides après traitement

Ensuite, des emporte-pièces sont utilisés pour découper des pétales ou des feuilles. Il y a des machines pour cela, ça n’est plus réalisé à la main.

Pour les feuilles essentiellement, ils utilisent aussi des embossoirs chauffés, forme et contre-formes pour graver les nervures et reliefs propres aux feuilles dans le tissu.

Mais pour mettre en forme les pétales, ce sont plutôt les fers et le geste des artisanes qui font éclore les fleurs en tissu.

 

Les fers sont chauffés sur une lampe à alcool puis l’artisane forme manuellement chaque pétale à la main sur son petit coussin de son.

L’atelier fleurs crée notamment pour Chanel de très nombreux camélias, sa fleur emblématique.

Mais pas que !

Les plissés

En 1853, Émilie Lognon a l’idée de friser des étoffes avec ses fers. Il crée les Ateliers Lognon et ses héritiers développent ce savoir-faire et l’art du plissé au métier, à l’aide de moules en carton.

Nous avons pu découvrir la collection pléthorique de moules conservés par la Maison. Ces moules s’usent et doivent être recréés à intervalles réguliers.

Ces moules en carton sont en deux parties identiques entre lesquelles le tissu est tendu.

Sur la photo ci-dessous, on voit un tissu en cours de plissage, déjà entre les deux couches du moule.

Ensuite, le moule est replié et placé dans une étuve pour chauffer le tissu dans ses plis.

Ci-dessous, à gauche, les moules en attente du passage à l’étuve dans l’après-midi avant de poser la nuit et d’être ouvert le lendemain matin.

Et voilà les magnifiques rendus qui peuvent être obtenus. Les résultats étant meilleurs sur les fibres synthétiques que naturelles.

Pour les plissés simples (plissés plats, plissés accordéon), ils utilisent des machines pour accélérer le travail.

La Maison d’art Michel

Créée en 1936, la Maison Michel  a survécu à l’arrêt du port généralisé des chapeaux dans les années 60 (tout ça, c’est la faute à Jackie Kennedy) en se tournant vers le luxe et la Haute Couture.

Elle confectionne des chapeaux et accessoires de tête pour le prêt-à-porter et la haute couture et, depuis 2006, crée ses propres collections en marque propre.

La visite intéressante a toutefois fait l’objet de négociations à chaque arrêt pour savoir s’il était possible de prendre des photos (au cas où l’on surprendrait des prototypes pour de prochaines collections).

Les formiers en interne de la Maison d’art

Il y a quelques années, la Maison Michel a racheté l’activité de Lorenzo Ré, un des formiers les plus réputés de France. Deux chapeliers de la Maison Michel ont été formés par M. Ré au métier de formier.

Romain nous a présenté son métier avec beaucoup de générosité.

Les formes, calottes et bords, sont créées à la main (et parfois avec l’aide d’une fraiseuse 3D numérique) dans du bois de tilleul : un bois suffisamment tendre pour être sculpté facilement et qui résiste bien à la chaleur et à l’humidité à laquelle les bois seront exposés lors du moulage des chapeaux.

L’atelier produit donc tous les bois en interne pour les chapeliers & modistes de la Maison mais les propose aussi à la vente pour les modistes indépendantes.

Sur la gauche au-dessus, on voit la forme du grand classique de la Maison Michel : le fédora Virginie.

Les formes de chapeaux sont créées à partir de dessin des stylistes ou modistes ou dupliquées à partir de formes déjà existantes.

Dans ses ateliers, les chapeliers et les modistes façonnent à la main les chapeaux et accessoires de têtes sur les 3 000 formes accumulées au fil du temps.

Une collection impressionnante !

Les chapeliers & les chapeaux en feutre

Ensuite, direction l’atelier du chapelier où nous avons aussi eu le droit à une démonstration de moulage de chapeau par le chapelier en chef.

Tout commence par l’apprêtage du cône en feutre de lapin (que la meilleure qualité de feutre ici). Le feutre humide est enduit sur l’envers d’un apprêt (généralement une dilution de Permafix).

Ensuite, le chapelier roule fermement le feutre sur la table de manière à s’assurer de répartir uniformément l’apprêt dans la matière.

Ensuite, le feutre est placé dans la machine à vapeur (a-t-elle un nom ?) pour imprégner le feutre de vapeur à 150°.

Sur la gauche, une quille, utilisée pour commencer le travail d’étirage du feutre.

Quand le feutre sort, il est donc suuuuper méga chaud mais aussi super malléable.

C’est le moment d’étirer le feutre pour commencer à lui donner plus ou moins la forme de la forme à chapeaux sur lequel on va le mouler.

Puis le feutre est moulé fermement sur la forme. C’est un métier très physique ! 

Pour assurer un bon tendu, le feutre est bloqué avec des nœuds coulants en bas du bord et à la base de la calotte.

Ici, le chapelier est en train de préparer le jonc pour « marcotter » le haut de la calotte dans la forme très reconnaissable du Virginie.

Le jonc est donc trempé dans l’eau pour assurer sa souplesse et inséré dans une chute de feutre afin de ne pas marquer le feutre. 

Le jonc est ensuite cloué à l’aide d’épingles argentines fines et longues. Un même jonc est utilisé en série lors d’une production.

Et voilà ! Le moulage est terminé… mais pas le chapeau.

Après le moulage, le chapeau part sécher en étuve. Le séchage à l’air libre est aussi tout à fait possible, mais c’est juste plus long quoi.

Après le séchage, le chapeau devra encore être démoulé, son bord coupé et fini (à cru ou replié et cousu, avec ou sans un cable inséré pour garder sa forme), l’entrée de tête cousue et la décoration (souvent un simple ruban chez Maison Michel) réalisée par les modistes.

Les modistes & la paille cousue

Une fois le chapeau formé, les modistes prennent le relais pour sublimer et garnir les chapeaux.

Minutieuses et habiles, celles-ci maîtrisent de nombreuses techniques, comme le tendu de tissus, le drapé de turban ou encore la technique de la paille cousue.

Ici, la Première d’atelier est en train de réaliser une commande spéciale pour une autre Maison de joaillerie : un petit coussin aimanté à placer dans une cage en or enfermant une pierre précieuse de la taille de la dernière phalange de mon pouce !

Nous avons terminé la visite à la paille cousue à la machine à partir de tresse de paille, papier, raphia, etc.

Ci-dessous, une série de rontonchons (le haut de la calotte, le centre s’appelant le « bouton ») dans différentes matières.

Pour créer la forme, la modiste ajuste la tension qu’elle applique à la tresse : pas de tension = c’est plat, forte tension = une courbure se crée.

Régulièrement, la modiste teste sa calotte sur la forme pour vérifier qu’elle correspond. La paille cousue ne sera pas retravaillée, corrigée ou remoulée a posteriori.

Il faut donc réussir du premier coup.

Différentes machines sont utilisées en fonction des matières et des points souhaités.


La Maison d’art Lesage

En 1924, Marie-Louise Lesage quitte son poste d’assistante chargée des broderies à l’atelier de Mme Vionnet pour reprendre l’atelier du brodeur Michonet avec son mari.

Fondé en 1858, ce dernier fournit les premiers grands noms de l’histoire de la haute couture que sont Charles Frederick Worth, Madame Paquin ou Madeleine Vionnet.

La broderie

La visite a commencé par les archives de la maison qui remontent à la fin du 19e siècle. Mais interdiction de prendre des photos des échantillons préservés dans les archives… des fois qu’ils soient choisis comme inspiration par un client.

J’ai trouvé ce raisonnement assez étrange face à des broderies fin 19e pour Worth.

Ou même pour d’autres broderies bien plus récentes, sorties il y a quelques saisons sur les podiums, dont les photos des réalisations peuplent déjà internet.

D’autant qu’une partie des échantillons exposés à nos yeux ébahis seront en vente aux enchères le 10 mai 2024… avec leurs photos disponibles à tous dans le catalogue de la vente.

Voici donc quelques exemples : 

Échantillon de broderie Lesage pour Jean Patou • Collection hiver 1932 • Grand échantillon, motif floral art déco. Perles 88 x 63 cm

Échantillon de broderie Lesage pour Jean Patou • Collection hiver 1932 • Grand échantillon, motif floral art déco. Perles 88 x 63 cm

Par la suite, nous avons visité les ateliers Dessins où les dessins sont créés et reportés sur le tissu à l’aide d’une piqueuse.  

À l’aide de celle-ci, plein de petits trous sont piqués très vite dans une feuille le long des lignes du dessin, puis cette feuille est posée sur le tissu à marquer et enfin, une poudre est saupoudrée à travers les trous pour reporter le dessin en pointillés.

Échantillon de broderie Lesage pour Jean Patou • 1935 • Motif floral. Celluloïd et perles sur organdi noir. 50 x 38 cm

Échantillon de broderie Lesage pour Jean Patou • 1935 • Motif floral. Celluloïd et perles sur organdi noir. 50 x 38 cm

Dans cet atelier, on a aussi pu voir les maquettes des broderies sur des mannequins afin de juger du bon placement des broderies.

Les dessins de broderie sont placés sur les pièces de patron, puis le patron en papier est assemblé et enfilé sur un mannequin.

Échantillon de broderie Lesage pour Schiaparelli • 1938 • Motif explosion pour la collection Zodiac. Perles et sequins 67 x 32 cm

Échantillon de broderie Lesage pour Schiaparelli • 1938 • Motif explosion pour la collection Zodiac. Perles et sequins 67 x 32 cm

Mais bon, je n’ai pas réussi à faire de photos clandestines de cet atelier… 

Échantillon de broderie Lesage pour Schiaparelli • 1939 • Collection «Comedia del Arte» • Velours et fil de soie. Motif précis utilisé pour les manches de la veste-boléro de la collection qui comportait plusieurs pièces. 60 x 40 cm

Échantillon de broderie Lesage pour Schiaparelli • 1939 • Collection «Comedia del Arte» • Velours et fil de soie. Motif précis utilisé pour les manches de la veste-boléro de la collection qui comportait plusieurs pièces. 60 x 40 cm

Broderies Lesage • 1939 • Robe et Gants assortis Collection Musique

Broderies Lesage • 1939 • Robe et Gants assortis Collection Musique

 

Le Tweed

Autre activité beaucoup moins connue de Lesage : la création de tweeds pour Chanel et autres créateur·ices.

Cette activité reste nouvelle pour cette Maison.

Elle commence durant les années 1990, se renforce en 1998 avec des tweeds pour les collections de prêt-à-porter de Chanel et, depuis 2008, la Maison Lesage conçoit des tweeds pour la haute couture, mais aussi de nombreux clients et créateurs (et notamment avec une section Lesage Intérieurs)

 

 

L’expo Stéphane Ashpool x Les Maisons d’art

La visite de l’expo « Figures libres » de Stéphane Ashpool venait après chaque visite d’un peu plus d’une heure dans les Maisons d’Art.

Bon, bien sûr, je ne me la suis pas tapée trois fois. Cela dit, c’était une bonne manière d’observer plus d’exemples du travail des maisons puisque l’expo est une carte blanche, à la croisée de son univers créatif et des savoir-faire des Métiers d’art.

Des plissés appliqués à l’univers masculin avec ces chemises, les genouillères et entrées de poches.

Presque le début d’une collection avec ces pièces inédites réalisées spécialement pour l’exposition à la Galerie du 19M. 

Ici, Stéphane Ashpool réinterprète la plume de la Maison Lemarié et des doudounes de manière différente en montrant le rembourrage.

Beaucoup d’exemples de plissés arc-en-ciel dans cette expo.

Ci-dessous, deux exemples de vestes brodées et emplumées issues de la marque Pigalle du créateur.

C’est beauuu! J’aime beaucoup la sensibilité à la couleur de ce styliste que je ne connaissais pas.

Son univers est aussi très streetwear et sportif, ce qui explique peut-être sa sélection pour le design des tenues des athlètes de JO de Paris.

Je suis particulièrement fan de ce plissé chevron arc-en-ciel.

 

Voilà, c’est enfin la fin de ce très long article sur les JMA dans les Maisons d’Art de Chanel. Bravo si être arrivé·es au bout !

De mon côté, j’ai beaucoup apprécié ces visites qui m’ont amenées dans un univers de beauté, de talents et de délicatesse. Un moment hors du temps bien nécessaire.

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11 commentaires

  • 12 avril 2024 à 21:06
    Nadriel

    Super article. Merci pour cette découverte. Je me suis régalée à vous lire et à regarder vos photos !

    Répondre
  • 13 avril 2024 à 15:25
    Virginie

    Vraiment superbe article, comme si j’y étais… Merci de nous avoir partager ces lieux magnifiques quasi innateignables…
    L’article aurait pu être plus long… Car très intéressant

    Répondre
  • 14 avril 2024 à 17:55
    SophieD

    Un grand merci pour cette belle ballade !

    Répondre
  • 16 avril 2024 à 08:40
    Christine

    Mille mercis pour le partage. C’est magnifique !

    Répondre
  • 16 avril 2024 à 09:15
    Nathalie

    C’est vraiment magnifique!! Un savoir faire qui j’espère ne se perdra pas…
    Merci de nous avoir fait partager cette visite éblouissante.

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  • 16 avril 2024 à 10:36
    missumlaut

    Quel bel article ! Merci pour ces photos d’un univers fabuleux.

    Répondre
  • 16 avril 2024 à 20:38
    Cecilou

    Superbe ! Quelle délicatesse. Ça donne envie. Merci pour cet article.

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  • 16 avril 2024 à 22:01
    Catherine

    Bonjour, comme cet article est intéressant. Merci beaucoup de nous transmettre toutes ces merveilles et si bien expliquées. Merci beaucoup

    Répondre
  • 18 avril 2024 à 01:21
    Emilie

    Merci infiniment d’avoir pris le temps de retranscrire ici cette visite qui me fait découvrir un monde inconnu et merveilleux !
    C’est fou de pousser le talent et le raffinement si loin!

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  • 20 avril 2024 à 12:10
    Eduenne

    Que de trésors !!!!! Merci pour ce reportage enchanteur.

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  • 21 avril 2024 à 10:32
    Marmotta

    Absolument passionnant et fascinant, merci pour ce reportage très complet !

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