Mouler un chapeau façon chapelier
Mouler un chapeau en feutre me semblait un geste vraiment complexe avant d’essayer. Si il y a un certain nombres de techniques à connaitre pour préparer le feutre au moulage, le geste en lui-même s’apprend assez facilement quand on est bien accompagné.
Après la présentation du stage pour apprendre à faire des chapeaux en feutre, voici mes petites notes sur les techniques pour faire un chapeau en feutre façon chapelier.
Je commence par cette « façon » car elle est finalement plus simple : on suit la forme.
Tout comme cette intro, cet article qui effleure seulement le sujet sera très long… accroche-toi à ton chapeau (sic).
→ Si la technique t’intéresse moyen, les photos du chapeau terminé sont à la fin.
Préparer les cônes de feutre
Choisir son cône de feutre
Déjà, ce n’est pas évident, un chapeau en feutre est formé à partir d’un cône ou d’une capeline en feutre de laine ou mieux (mais beaucoup plus cher), en feutre de lapin.
Je pourrais aussi faire tout un article sur la fabrication de ces feutres tellement c’est un processus complexe. Mais passons.
Si on travaille sur un chapeau en feutre à petit bord (moins de 7 cm), le cône suffit. Si le bord doit être plus grand, une capeline sera nécessaire pour avoir suffisamment de matière.
La préparation du feutre avant de mouler le chapeau
Pour mouler un chapeau en feutre, façon modiste ou chapelier, la base en feutre doit être humide et saturée de vapeur d’eau chaude… voire brûlante.
Sous l’effet de la vapeur d’eau, le feutre devient ainsi extrêmement malléable et étirable.
Pour préparer le feutre :
Mouiller le feutre
- soit en le trempant dans une bassine d’eau chaude et le massant pour faire pénétrer l’eau au cœur de la fibre
- soit en l’humidifiant au vaporisateur d’eau puis en l’enroulant dans un torchon très humide (mais pas dégoulinant) en lin ou en coton. On le place ensuite au frigo pendant 12h.
Apprêter le feutre
Afin que le chapeau se tienne, le feutre doit recevoir un apprêt. De nos jours, divers produits et recettes sont utilisés. Chacune sa recette souvent « secrète »… Voici celles que je connais.
- 1re recette (celle utilisée lors de ma formation chez Blanche) : 1 verre d’A-Quaraid, 2 verres d’eau, 1/2 verre de Permafix 50 à appliquer au pinceau brosse ou à l’éponge.
- 2e recette : immerger le cône dans une solution 1/5 d’apprêt AL50 + 4/5 d’eau puis l’essorer vigoureusement en tordant le feutre.
- 3e recette (celle utilisée lors de ma formation aux Cours Municipaux d’Adultes de la ville de Paris) : 1/3 ou 1/2 de Permafix 50 + 2/3 ou 1/2 d’eau) à appliquer au pinceau brosse ou à l’éponge.
Faire fumer le feutre
Juste avant de passer au moulage, il faut maintenant saturer le feutre de vapeur d’eau. Là encore plusieurs méthodes s’offrent aux modistes ingénieuses.
- La pattemouille (méthode CMA) : poser une pattemouille* bien humide (mais pas dégoulinante) sur le feutre puis poser votre fer à repasser bien chaud jusqu’à ce que le feutre dégage de la vapeur d’eau. Répéter sur toute la surface.
- La centrale vapeur : pas testé mais il parait que ça marche. Même manœuvre que ci-dessus mais avec une pattesèche.
- La bouilloire à l’ancienne au-dessus de laquelle on tient le feutre : il semblerait que ça manque de pression pour être efficace. Encore une fois, non testé.
- Le chaudron : un chaudron ou marmite, c’est basiquement un couscoussier ou un cuiseur vapeur. Dans la partie basse, on met de l’eau à bouillir, dans le panier (partie supérieure percée pour laisser passer la vapeur) en haut, on place le feutre. Laissez au chaud 15 min environ. Attention, après c’est véritablement brûlant : mettez des gants pour le sortir.
Dans tous les cas, le feutre devra être remis à fumer au fur et à mesure où il refroidit.
*Rappel : une pattemouille est un morceau de coton fin, lisse (pour ne pas marquer les tissus) et humide qui s’utilise pour repasser les tissus sans les lustrer. Une pattesèche, c’est la même chose, le même usage mais sec.
Mouler le chapeau : la calotte
Ouh là, je sens que tu t’emballes et que tu crois qu’on va se lancer dans le moulage du chapeau en feutre direct. Que nenni ! On commence par…
Lui faire le cul
Ah, le bonheur du vocabulaire si imagé et grivois des modistes ! Il faut imaginer ces femmes souvent indépendantes (puisqu’elles travaillent) en train de jacasser dans les ateliers toute la journée…
Faire le cul d’un feutre consiste élargir le fond du cône pour qu’il passe correctement sur la forme et à l’étirer en longueur pour commencer à préparer le bord.
Pour cela, encore 2 options :
- si tu as une quille (voir photo), vous utilisez la quille. Le geste va être compliqué à décrire par écrit… d’où l’intérêt des stages pour apprendre à faire des chapeaux en feutre.
- si tu n’en as pas, on enfonce les deux points au fond et on écarte les points énergiquement autant que possible.
La modiste qui travaille le feutre a ses petits bras bien musclés (tout comme les mains).
On tire d’abord verticalement et régulièrement en faisant tourner la quille pour une action à 360°.
Puis on étire le bas du cône horizontalement pour préparer le bord du chapeau en feutre.
Préparer la forme à chapeau
Toute forme à chapeau en bois doit être protégée avant de mouler le feutre.
On fait ça avec du film alimentaire qu’on applique sur le bois après l’avoir humidifié au vaporisateur afin d’aider le film à coller.
C’est une étape que je déteste particulièrement : j’ai une sainte horreur de ce film qui colle toujours où il ne faut pas et jamais là où il faudrait. En plus, bon, c’est du plastique.
Cependant, c’est indispensable pour protéger à la fois le bois et le feutre d’un éventuel transfert de teinture entre les cônes.
La question à 10 000 balles : « Oui mais avant l’invention du film plastique, il.elles faisaient comment ? » Bééé, personne n’a su me dire jusqu’ici.
J’ai trouvé cette photo sur internet, je ne sais plus où… J’hypothèse qu’on protégeait peut-être les formes en les recouvrant de singalette.
Mouler le feutre sur la calotte
Bieng. Tout ceci ayant été réalisé, on passe au moulage du chapeau proprement dit. \o/ Ouiiiiii !!!
D’un geste ferme, on enfile le cône sur la calotte, elle-même posé sur un gigolo* (sic).
*le gigolo est le pied sur lequel on pose les calottes pour les surélever pendant le travail.
On titre fort fort fort pour bien tendre le feutre.
Et puis hop, tête en bas, on place la calotte dans le collier pour passer au bord.
Mouler le chapeau en feutre : le bord
Pour mouler le bord du chapeau, c’est rebelotte. On tire dans deux directions à chaque fois, devant et dos, gauche et droite, pour enfiler le cône sur le bord jusqu’au dorset*.
*le dorset dans la forme à chapeau est une rainure qui marque « la fin » du bord. Il permet aussi de bloquer le feutre à l’aide d’une ficelle et de repérer l’endroit où on coupera le feutre.
Dans mon cas, le cône était un peu court et on s’y est mises à deux.
Enfin, le bord est bloqué à l’aide d’une ficelle en lin de 3 mm environ et d’un nœud coulant.
Le mascotage du chapeau
J’espère que tu n’en as pas trop marre du vocabulaire des chapelières modistes… parce qu’on continue avec le mascotage du chapeau.
Grâce à ton œil de lynx, tu auras sûrement remarqué que la forme que j’avais choisie comporte une rainure sur le haut de la calotte.
Comme tu peux le voir ci-dessous, mouler le chapeau en feutre n’a pas permis de faire apparaitre cette rainure.
C’est là que les brins de rotin & les épingles argentines* entrent en œuvre. Je n’ai malheureusement pas de photo de cette étape.
Pour résumer, le rotin est trempé dans l’eau chaude pour l’assouplir. Il est ensuite courbé pour suivre au plus près les rainures de la forme. Au fur et à mesure, il est cloué avec les argentines.
*Les argentines sont des épingles épaisses qui se plient mais ne cassent pas. On les utilisent un peu comme des agrafes temporaires.
Après le moulage du chapeau : les finitions
Faire sécher le chapeau
Pour faire sécher son chapeau, il est tout à fait possible de le laisser sécher à l’air libre.
Cependant, ça peut être long quand il ne fait pas chaud. Et surtout, dans le cadre d’une commande urgente ou d’une formation, ce n’est pas très praticable.
L’option haut de gamme est l’étuve. C’est ce qu’on avait aux Cours Municipaux de Chapeaux mais c’est un investissement lourd.
Blanche, modiste astucieuse, m’a montré son étuve maison : pas chère, légère, transportable. Parfait !
Couper et démouler le feutre
Pour démouler le feutre, on passe un coup de cutter à lame large et bien affûtée le long du dorset en essayant de faire la coupe la plus clean possible.
Quand on rate (comme moi), on retouche aux ciseaux bien affûtés.
Quand on rate encore (comme moi), on finit à la lime à ongle.
Finir le bord
Le retour du bord est ensuite cousu à la machine à coudre avec un point un peu long (3,5 / 4 mm). Pour terminer, nous avons passé un fil métallique de 2 mm de diamètre environ dans la couture sur toute la circonférence.
Ajouter une garniture
Blanche m’a ensuite fait travaillé quelques nœuds classiques qui plaisent le plus facilement aux messieurs apparemment.
J’ai choisi ensuite dans son stock mes rubans pour créer la garniture. Ici, c’est le moment de se lâcher sur la créativité.
Concernant le nœud papillon, il était assez plat. Une petite mise en plis au Fabulon x rouleaux en PQ x fer à repasser plus tard, et le voilà plus rebondi.
Par contre, je ne garantie pas la tenue à la pluie.
Et voila le chapeau fini !
Si tu as tout lu jusqu’ici, d’abord BRAVO ! Ensuite, j’espère que je ne t’aurai pas totalement assommé.
Franchement, il y a encore plein de gestes ou de petits détails dans lesquels je ne suis pas entrée : le brossage, le bichonnage, la couture de l’entrée de tête à la machine…
Mais je m’arrête là pour aujourd’hui et je te laisse regarder le produit de mes efforts si agréables.
J’adore ce chapeau qui est entré dans ma garde-robe sans problème. Bon, en même temps, noir et bleu, je n’ai pas pris de risque.
Le nœud est amovible. Je l’ai monté sur un support de broche mais ça ne me satisfait pas. À voir…
Mes prochaines étapes seront de remettre en état mes formes à chapeau pour commencer à mouler des chapeaux, toute seule. Ouh là là !
17 commentaires
Merci pour la réponse hyper rapide. Donc concernant la première étape je dois dans tous les cas le mettre au frigo, que je l’immerge ou l’humidifie avec un torchon. Et concernant l’immersion. Il va forcément être plein d’eau. Ce n’est pas un problème? Désolée mais je veux être sûr de bien faire cette étape. L’idée du système d pour l’étuve est géniale. Merci
Bonjour. J’ai eu l’occasion de faire un atelier de modiste. Mais je pense que les capelines étaient déjà apprêtées puisque nous avons pas passé cette étape. Là j’ai des capelines non apprêtées. Donc j’ai deux questions: L’immersion de la Capine dans l’eau est-elle obligatoire ? Et concernant l’étape de l’appret, Celle qui consiste à l’appliquer au pinceau, est-ce que je dois l’appliquer sur les deux surfaces du chapeau, ou juste sur le dessous? J’ai l’impression que sur le chapeau que j’ai réalisé, l’appret a ete appliqué que sous le dessous. Je vous remercie.
Bonjour Sarah,
Super pour le stage ! J’espère que ça t’a plu. Si le stage était sur une seule journée ou même juste une après-midi, je ne suis pas étonnée que le feutre ait déjà été préparé à l’avance. Pour que l’apprêt pénètre de manière uniforme dans le feutre, il est important que celui-ci soit déjà humide. C’est un peu comme quand on fait de l’aquarelle. Pour une bonne diffusion de la couleur, le papier doit être humide.
Pour cela, il y a différentes méthodes : immerger le feutre, l’envelopper dans un torchon humide (mais pas dégoulinant) et le laisser une nuit dans le frigo, ou le gorger de vapeur d’eau. Si tu ne fais pas ça, tu risques d’avoir des endroits plus ou moins rigide ou des traces blanches où l’arrêt n’aura pas pénétré correctement. Enfin, on m’a toujours dit d’apprêter des deux côtés, même si on passe plus de temps à bien faire pénétrer sur l’extérieur pour éviter d’avoir des traces.
[…] pour apprendre à fabriquer des chapeaux, la fabrication de chapeau en feutre façon modiste et le moulage façon chapelier, j’avais en tête un article pour référencer la matériel mais aussi où l’acheter. […]
[…] La préparation du cône ou de la capeline est la même que pour un chapeau en feutre façon chapelier. Tu peux donc aller voir les explications et les recettes de mon article sur le moulage des chapeaux en feutre. […]
Superbe article et très intéressant. Merci pour ces belles photos et tout ce vocabulaire que je ne connaissais pas. C’est un univers bien tentant..
Merci Nathalie !
Comme le précédent, article très intéressant et le chapeau fait par vos petites mimines est très joli
Merci Mayana ! J’avais peur qu’il soit trop bourratif mais ça me sert aussi de bloc-note pour le futur, donc…
Génial. J’ai tout lu, comme ton précédent article d’ailleurs. Tu nous fais découvrir un monde inconnu et que j’aurais jugé plutôt inaccessible avant. Ton chapeau est magnifique. Tu as fait du beau boulot.
Inaccessible pour les infos, assez quand même. Mais dans la réalité, les techniques ne sont pas plus complexes à apprendre que d’autres en couture, broderie, etc.
C’est superbe ! Comment peut-on sortir sans chapeau, hein !
On est bien d’accord Noëlle 😉
Waouh, sacré boulot. Le résultat est superbe. Ça donne envie de s’y mettre. J’avais visité l’atelier d’une modiste près de chez moi, il faudrait que je la contacte pour savoir si elle fait des stages.
Oui, toutes ne le font pas mais peut-être parce qu’elles n’y pensent pas ?
tout lu ! ^_^ très bon article le vocabulaire est franchement pas mal aussi j’ai adoré et ton chapeau est superbe
Bravo pour la lecture ! XD C’est drôle ce vocabulaire hein. Je trouve que ça fait ressentir l’époque.